Nous consacrons le numéro 8 du « Pavillon Turquoise » à la poésie pour la seconde fois. Cinq poètes sont convoqués pour cette édition. Chacun a donné sa musique de mots, vous la trouverez à lire, nous avons attribué une image à chacun : une image collée sur un nom. Elle ne représente pas le poète, ne cherchez pas d’allusions, il n’y en a pas, c’est un jeu de correspondances.
Nous avons aussi demandé aux cinq poètes de désigner un poème d’un « autre aimé » : poète vivant ou mort ; à partir de ces poèmes « confiés » à notre attention, nous avons réalisé des vidéos qui sont une résonance donnée au poème, une image animée en forme d’écrin, autre chose que les illustrations des beaux livres précieux que nous aimons tant.
JJ Schlegel
Ayant vécu
Sans faire grand-chose
Exposées aux quatre vents et saisons
Ses mille statues et statuettes se sont érodées, s’effritent
Et pourtant
L’imposant bâtiment semble résister au temps.
Si je regarde de près
Je me rends compte
Que la cathédrale n’existe déjà presque plus
Plus aucun visage
Plus aucun pli dans les tuniques
Le grand geste est celui d’un mort
Sa majesté faite de vagues souvenirs
D’abstractions et de généralités
Saluant d’autant mieux à distance
Qui veut encore croire à des choses.
JJ Schlegel
Lien vers le blog de JJ Schlegel
Interlude I
Henri Cole – Masque
Fadwa Soliman
Le chemin de Damas
Alain Pizerra
Au voyage du poète
J’écris pour toi poète que la lumière étreint.
D’une lune moirée, soleil désenchanté,
Les silences du désir bruinent sur le jour grinçant.
Qu’ils murmurent sur la mer aux rivages défaillants
Écume du temps passé, la ville s’écaille au vent.
Tout part, disparaît, cap-écueil grimaçant.
Je crie vers toi poète au long cours du Temps.
Ton cœur glisse
Élan vers l’infini présent
Sans l’aigreur d’un printemps esclave de l’instant.
Sable-cosmopolite
Où meurt le sureau noir aux fruits emplis de sang
Terre-escale
Qui naît d’un halo blanc comme deux notes sur le Chant.
Qu’il neige dans ma tête j’ai mal au temps fuyant.
Alain Pizerra
Interlude II
Rainer Maria Rilke – Hortensia Bleu
Max de Carvalho
Onéirocritie
Les images de convention
Sont plus réelles que la
Vitre et cette pluie qu’au
Soir un vent cassé rabat.
Dire est cela même,
Simple rien d’autre
Variant souvent.
Écrire non plus,
N’est pas ce que l’on
Croit –
« Les jambes de lait
Coulaient en rêve,
Moins liquides
Qu’obliques…
Fantômes le plus
Souvent, les mots
Qui tremblent
D’oublier,
Et au réveil
Poussière.
Max de Carvalho
Extrait du recueil
« Les degrés de l’incompréhension »
Ed. Arfuyen 2014
Interlude III
Herberto Helder poème de Science Ultime
Didier Ayres
Quatre dimanches
Des oiseaux brulés
en une sorte de dimanche approximatif
un arbre au milieu de mon front
comme le mantelet de cuivre de tes yeux
juste la vie abstruse des avents
j’ai laissé la chambre des chardons
et les tourterelles abîmées dans des lacs d’ébonite
la mystique de minuit
griffons de pierre jetés ça et là dans les herbages
c’est l’économie violente du sommeil
petit ainsi qu’un chardonneret de métal
en quoi j’ai douté des beautés approchantes
là où tu as lancé les herbes incendiées
parce que je suis habité par des villes isocèles
des tours de feutre
là dans le rucher de mon angoisse
un voyage auprès de la rivière
la robe d’élytres de cet ange malheureux
le château de fer du temps
je suis chien de vitre
dans le hall des feux et des oiseaux
le grand triangle des eaux
des hirondelles qui se déchirent quand même quelque part dans les
neiges incolores
un bateau de fièvre par exemple
où des filles de glace dorment ensemble dans leurs cheveux
comme si la nuit était une couronne
nous serons pétrifiés par un idéal grec
oui comme une sorte de biche en papier où brûle l’apocalypse
c’est l’insomnie et son manteau de glace
des anges tristes et des putti en grisaille
une union dans nos poitrines de la première pénombre
comme des vins terribles qui sont au bord de la rêverie
là où brûlent des lampes d’améthyste
des pumas d’argent
et la mort si proche comme ce papillon
jusqu’à l’hiver de l’alouette providentielle.
Didier Ayres St-Junien, le 21.12.14
Interlude IV
Georges Rodenbach – Le soir dans les vitres
Emmanuel Rey
Lexikone n°1
Qu’est ce que le Lexikone ? Une forme réunissant une image et un texte, comme une petite œuvre.
C’est le bruit de ses talons claquant sur le pavé dans le silence de la nuit qui attire mon attention, puis sa présence intrigante sous les réverbères de la place. Où va-t-elle ? Je la suis du regard, me demandant si elle va entrer dans la boutique encore éclairée à cette heure déjà tardive. Non, elle contourne la fontaine, se dirige vers un grand parasol qu’elle replie soigneusement sur lui-même pour le protéger de la nuit. Elle doit même se mettre sur la pointe des pieds pour atteindre le sommet, ce n’est guère pratique avec de telles chaussures. Elle tourne alors ses pas vers l’entrée du magasin tandis qu’au loin on entend sonner neuf heure, il est tard pour fermer boutique. Sans doute a-t-elle quelque rendez-vous tout proche ? Je la vois se déplacer dans la lumière derrière la vitrine, bien occupée par quelques tâches de dernier instant, jetant de temps en temps un coup d’œil rapide à l’extérieur. Le parasol désormais revêtu de sa protection a l’air d’un géant en cape lui tournant le dos. Un dialogue muet s’établit entre eux, elle, commençant à manifester quelques signes d’impatience et lui, offrant pour seule réponse sa posture indubitablement sceptique et renfrognée. Seule la fontaine du centre de la place, bien éclairée avec son motif finement ciselé évoquant une figure antique, apaise la tension qu’on sent monter inexorablement… Viendra-t-il ?
Emmanuel Rey
Mouvement en deux temps
Lien vers le site d’Emmanuel Rey
Signal
Les éditions Impeccables publient un roman de Bruno Mathon: « Et puis, et puis encore » (editionsimpeccables.net)
« Si le mythe doit être interprété, il est d’abord nécessaire de le laisser affleurer en soi. Le rêve (éveillé) est le chemin le plus court (« le mythe semble être au collectif ce qu’est le rêve à la personne » écrit Annick de Souzenelle [3]). En écrivant ce roman, Bruno Mathon rend lisible, en même temps qu’il montre le désir d’interpréter qui l’accompagne, le mythe personnel qui se trouve à l’origine de son expérience des images (et qui est passée par le cinéma et la peinture avant de se faufiler dans les mots) »
Samuel Dudouit
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